De nos jours, la démocratie se définit le plus souvent comme étant un rempart à des dérives, à des abus de pouvoir et à des privations. On définit la démocratie comme l’absence d’actions arbitraires, de culte de la personnalité ou de règne d’une nomenklatura. La chute des régimes autoritaires est plus célébrée que le triomphe des régimes démocratiques.
La démocratie et la règle de la majorité
Les intellectuels semblent plus intéressés par une conception étroite et purement libérale de la démocratie, qu’ils définissent comme un régime dans lequel le pouvoir ne peut être pris ou détenu contre la volonté de la majorité. La démocratie est un système de gouvernement qui fonde sa légitimité sur la participation du peuple. Bien que les gouvernements démocratiques se présentent sous de nombreuses formes, ils sont uniformément caractérisés par des élections transparentes, le principe de l’égalité politique et juridique, et un degré élevé de liberté individuelle, ou libertés civiles. En raison du recours aux élections, les démocraties se basent sur le principe de la règle de la majorité. Cependant, une tension domine les sociétés démocratiques : quel équilibre entre la volonté de la majorité et les droits des minorités ? Le compromis entre ces deux principes diffère selon les États démocratiques. La liberté de choix politique est une condition préalable à la démocratie, mais est-elle la seule ? La démocratie n’est-elle qu’une question de procédure ? En d’autres termes, peut-elle être définie sans référence à ses finalités comme l’élection d’un président ? Au moment où tant de régimes autoritaires s’effondrent, nous devons également examiner le contenu de la démocratie, même si la tâche la plus urgente est de garder à l’esprit que la démocratie ne peut exister sans liberté de choix politique.
L’effondrement de l’illusion révolutionnaire
Les révolutions balaient un ordre ancien : elles ne créent pas forcément la démocratie. Nous sommes maintenant sortis de l’ère des révolutions, parce que le monde n’est plus dominé par la tradition et la religion, et parce que l’ordre statique a été largement remplacé par le mouvement. Nous souffrons plus des maux de la modernité que de ceux de la tradition. La libération du passé nous intéresse de moins en moins : nous sommes de plus en plus préoccupés par le pouvoir totalitaire croissant des nouveaux modernisateurs. Les pires catastrophes et les plus graves atteintes aux droits de l’homme ne sont pas seulement causées par le despotisme conservateur. Elle aussi « l’œuvre » de la modernisation du totalitarisme. Nous avions l’habitude de penser que les révolutions sociales et nationales étaient des conditions préalables nécessaires à la naissance de nouvelles démocraties, qui seraient à la fois sociales, culturelles et politiques. Cette idée, appuyée par la révolution française, tend à être contestée par l’expérience du Printemps Arabe.
Les révolutionnaires veulent libérer les énergies sociales et nationales des chaînes du profit capitaliste et du pouvoir colonial. Les libéraux appellent à la poursuite rationnelle des intérêts et à la satisfaction des besoins. Le parallèle va encore plus loin. Les régimes révolutionnaires soumettent le peuple aux décisions des intellectuels d’avant-garde, tandis que les régimes libéraux le soumettent au pouvoir des entrepreneurs et des penseurs. Est-ce si différent ? Mais il existe une différence cruciale entre ces deux types de régimes. L’approche révolutionnaire conduit à l’établissement d’une autorité centrale toute puissante qui contrôle tous les aspects de la vie sociale. L’approche libérale, en revanche, accélère la différenciation fonctionnelle des différents domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de la vie privée, de la loi, etc.